vendredi 26 avril 2013

Humain, puis ensuite juif, dans l'ordre, s'il vous plait !



J’ai vu le film de Margarèthe Von Trotta au sujet de Hannah Arendt.
Bien entendu, ce film est axé sur la période des écrits qui suivirent la mort par pendaison d’Eichmann à Jérusalem, après son « procès ». Procès entre guillemets, parce qu’Eichmann a été illégalement enlevé du sol argentin où avec la complicité de la Croix Rouge et du Vatican il avait trouvé refuge après la guerre. Sont donc développés les concepts de la « Banalité du mal », le constat de la médiocrité des criminels nazis. Il s’agit là de personnes, dans un système totalitaire, qui par serment au führer et par leur place dans un organigramme hiérarchisé, ne pensent pas, ne pensent plus. Eichmann est le paradigme du bureaucrate criminel. Eichmann ne pense pas. « Un spécialiste, portrait d'un criminel moderne », film documentaire français d'Eyal Sivan et Rony Brauman (1998) montre bien lui aussi cette problématique. Les extraits du procès filmé en noir et blanc sont fascinants. Eichmann est pathétique. On  a reproché à Hannah Arendt d’atténuer par ses propos la responsabilité d’Eichmann.

Décortiquer une réalité pour la penser et la comprendre ne consiste pas pour autant à absoudre les criminels et à diminuer leur responsabilité. Elle se réjouissait qu’il ait été pendu.

Arendt note que le propre de l’homme est bien de penser et c’est ce qui le sépare des animaux. Le rire aussi ajouterai-je ! La pensée d’Hannah Arendt est tout à fait moderne et d’actualité : le totalitarisme nivelle les hommes ; ils finissent tous par ne plus penser. Il se produit une espèce de déréliction humaine qui touche tout le monde. Autant les bourreaux que les victimes. A l’occasion du procès d’Eichmann à Jérusalem, il est incidemment apparu que les Conseils juifs collaborèrent à la déportation de juifs… Les victimes par leur comportement envoyèrent certains d’entre eux à la mort. Les Conseils Juifs, s’ils structuraient la communauté juive, ont contribué à faire plus de morts que si les personnes étaient restées moins organisées, mais par la force des choses plus réactives, car dans l’obligation de penser ce qu'elles risquaient et ce qui allait leur arriver. Et puis Hannah Arendt note qu’entre la résignation totale et la collaboration, il restait pour les Conseils juifs  un espace pour manœuvrer autrement… On lui a beaucoup reproché ses remarques sur les « Judenrat ». On l’a encore récemment reproché à Rony Brauman…

De nos jours, les conditions, souvent les conditions de travail, qui mettent un individu dans l’incapacité de penser sa destinée, sa journée, sa vie, procèdent  d’un système totalitaire.  C’est moi qui le dis !

Hannah Arendt dit qu’elle ne peut aimer que des individus, que des personnes mais qu’elle ne pense pas pouvoir aimer un peuple. Y compris le Peuple Juif ! Elle parle de Crimes contre l’Humanité et non de Crimes contre les Juifs ; parce qu’un juif est avant tout et d’abord un Homme… Elle savait mettre de l’ambiance dans le Landerneau sioniste ! Elle a une légitimité : elle a fuit ses ennemis nazis qui voulaient l’envoyer en camp de concentration. Elle est venue se réfugier chez ses amis français : ils l’ont mise dans un camp d’internement ! A Gurs, antichambre de la déportation et de la mort. Elle s’en est évadée pour rejoindre l’Amérique.

Le film est beau dans le sens qu’il montre la pensée en action. La pensée est physique, Hannah Arendt déambule, marche, elle est vigoureuse, parfois épuisée, elle fume, elle embrasse, elle s’allonge, elle enseigne, elle promet, elle parle, elle rit, elle pleure, elle croise les jambes, elle caresse…

C’est un très beau film d’action… de la Pensée !
Il donne envie de lire ses œuvres…

2 commentaires:

Calyste a dit…

"De nos jours, les conditions, souvent les conditions de travail, qui mettent un individu dans l’incapacité de penser sa destinée, sa journée, sa vie, procèdent d’un système totalitaire". C'est, en gros, ce que je pense de la dérive actuelle du système éducatif français, côté enseignants et surtout côté élèves.

CHROUM-BADABAN a dit…

Oui je vis ça aussi, mais dans une moindre mesure.
Educateur spécialisé, j'aurais aimé travailler avec des adolescents. Mais l'organisation de l'action sanitaire, scolaire et sociale pour les accompagner est tellement racornie comme une peau de chagrin qu'il devient, même pour un professionnel, impossible d'organiser le présent et de penser l'avenir.
Désormais, je bosse avec des enfants handicapés, -et j'aime ça, parce qu' il existe encore une marge pour réfléchir, parce que c'est un domaine qui n'est pas encore totalement déstructuré, ni livré aux entreprises privées à but lucratif !
Mais je pense surtout au pire, en écrivant sur l'impossibilité de penser sa vie, son travail, sa journée même, je pense aux salariés victimes d'injonctions paradoxales, à qui on ne laisse aucune marge de manoeuvre et qu'on tient finalement pour personnellement responsable de ce qui de toute façon ne visait qu'à les mettre en échec pour mieux les licencier et recommencer la même chose avec d'autres.
Sans parler de la paie de Mickey qui tient lieu de salaire...
C'est terrible cette terreur actuelle qui s'exerce à cause du chômage de masse organisé et d'un rapport de force défavorable aux travailleurs...
Sans vouloir verser dans un marxisme de bon aloi !