vendredi 24 mai 2013

La Fabrique Des Mots / P.P. Le Moqueur / Eric Orsenna

Je ne peux m'empêcher de remettre sur le tapis ce très beau texte de P.P. Le Moqueur !

Un endroit extraordinaire !

Il fallait passer une porte cochère et traverser une cour pavée. Au fond, au rez-de-chaussée une porte-fenêtre en bois au milieu de deux grandes fenêtres identiques et rectangulaires
La porte était ouverte et je me retrouvai une fois l’avoir poussée, dans une grande salle, éclairée de néons livides au dessus d’établis soigneusement alignés. Une douce odeur de bon français flottait là parmi les fétides  effluves de quelques douteux accords de participes et de redoublement de consonnes tout juste rectifiées ,

Sur les murs : des gabarits, des formes, des patrons, des moules à écriture. Sur les établis prêts à s’attaquer au papier le plus blanc, un tas d’outils de précisions, stylos, crayons, gommes et effaceurs liquides. Et tout autour, des machines extraordinaires, dégauchisseuses à adverbes, scies sauteuses à péroraisons, perceuses à oxymores, tours à prétéritions, emboutisseuses à apophtegmes, sertisseuses à allégories,   tyroliennes à prosopopées,  ponceuses à néologismes, raboteuses à pléonasmes, aspirateurs à barbarismes et un beau contrôleur vigilant d’ aphérèses vulgaires.

Bref, de l’outillage, du sérieux, du vrai !

Et puis autour des établis, vêtus des couleurs rimbaldiennes, des arpettes qui ciselaient en silence leur chef d’œuvre, façon meilleur ouvrier de France, tandis qu’un maître, vêtu, lui, d’une blouse de ratine grisâtre, bienveillant, les surveillait, les conseillait, sévère mais juste, auréolé de son savoir magistral, détenteur initié de dictionnaires multiples

En fin de journée, on montrait son travail.

Après quoi, l’on balayait l'atelier d'écriture,   par terre, toutes ces petites chutes, ces débris de phrases, ces copeaux de mots, cette sciure de pensée non conforme...

Et l’on rentrait chez soi, heureux, avec le sentiment incomparable du travail bien fait, du devoir accompli.

P.P. Le Moqueur

Il m'aurait été difficile de ne pas vous faire part de ce très beau texte signé P.P. Le Moqueur ; de même, qu'il serait inconcevable de ne pas l'associer à cette dernière parution :

2 commentaires:

P. P. Lemoqeur a dit…

Fier qu'il est ! PPlemoqueur !

CHROUM-BADABAN a dit…

Tu ne l'a pas volé !