mercredi 23 janvier 2013

Ghetto, c’est le premier mot qui m’est venu à l’esprit ce midi.



GHETTO
Ghetto, c’est le premier mot qui m’est venu à l’esprit ce midi.
Je suis en arrêt de travail.
Je suis donc hors du monde du travail.
Je circule dans la rue pour mon travail. Même en arrêt de travail, je travaille. J’ai l’autorisation médicale de sortir.
A midi je n’ai pas envie de déjeuner. Je me suis levé trop tard pour avoir faim.
Je suis hors du monde qui déjeune.
Hors du monde du travail, hors du monde qui déjeune à midi.
Je ne suis pas le seul.
     Il y a les enfants. Nous sommes mercredi, ils n’ont pas classe. J’en rencontre deux, très imaginatifs : ils sont au dessus d’une bouche d’aération* du métro. Ils y jettent des feuilles mortes qui s’envolent très haut dans le ciel. C’est beau, très beau. Des feuilles mortes qui remontent le long des arbres comme une machine remonte le temps ! La photo est difficile à prendre et je ne veux pas qu’ils jouent pour moi. Alors j’écris.
     Plus loin au même endroit, il y a les affaires de couchage d’un type à la rue. Des tissus sèchent, accrochées au grillage qui borde les arbustes du terre-plein.  Des sacs en papier de grandes marques sèchent aussi, sous la pluie. Il n’a pas l’autorisation de faire sécher ses affaires sur la bouche qui pulse l’air chaud du métro. Un autre ronfle sous la tente grise plantée là.
     Je traverse du coté du Cours de Vincennes où se tient le marché. Des étals épars et soudains ces quelques légumes tordus, tout droits sortis de terre, tout droit sortis du film Les Glaneurs et la Glaneuse de la réalisatrice Agnès Varda. Le chaland sur le marché, passe et repasse, il ne travaille pas, il n'achète pas, il traîne son ombre sous le ciel gris. Il passe et repasse, pèse le pour, pèse le contre. Pas un radis, pas de pèze, les flaques d'eau, ça fait bizarre, ce n'est pas comme un samedi ou un dimanche. Un type a transformé Square GOT en Square CGT ! Toute la neige n’a pas fondu.
     Rue Robespierre, un peu plus loin dans la banlieue. Des femmes, des hommes, jeunes ou d’âge mur, en âge de travailler et en âge de déjeuner, ne travaillent pas, ne déjeunent pas, ça se voit, ça se sent. Une jeune femme voilée et souriante me demande avec l’accent algérien si j’ai du courrier pour elle avec comme une lueur d’espoir. Une femme yougoslave, téléphone anxieuse. Un vieil homme la croise et la salue en serbe. Ils sont nombreux les adultes a traîner rue Robespierre, que ce soit à Montreuil ou à Bagnolet.

     Ghetto, c’est ça le ghetto, un endroit où on peut exister au minimum, où l’on vit dans une atmosphère sans travail, sans repas. Où rien n’est normal. Où les langues s’entrecroisent, se conjuguent et se comprennent puisqu’on y parle l’Essentiel, la Préoccupation, le Manque. Où  le temps pourri est la seule richesse qui permette de faire un peu diversion, comme tout le monde !
    Ghetto, où l’on vit malgré tout. Ghetto malgré les noirs dégoulinants droits humains. Malgré les trottoirs qui trottent plus vite qu'un reflet sur l'asphalte humide et froide. 
     Au Ghetto, je suis milliardaire en peaux de bébés phoques.
     Ghetto, c'est la première chose qui m'est venue à l'esprit. 
 
*La bouche d’aération est sur le terre-plein central au niveau du 41bis Cours de Vincennes. Je la signale parce qu’elle est parfois très puissante et qu’elle permet de s’amuser bellement et gratuitement. 
 Le square GOT rebaptisé

2 commentaires:

P. P. Lemoqeur a dit…

Le Ghetto, l'idée de ghetto m'intéresse, par rapport bien sûr à la diaspora (pas de diaspora pas de ghetto) qu'elle soit juive ou autre car elle est à la fois le lieu où l'on se fait parquer,avant parfois, on l'a vu de se faire exterminer, mais aussi celui où l'on préserve son identité. Le ghetto peut être salvateur, mais aussi hélas mortifère.
La "banlieue" est le plus emblématique des néo-ghettos car il est désormais constitué des plus exilés des exilés, les exilés de l'intérieur...
J'aime beaucoup ce que tu as écrit.

CHROUM-BADABAN a dit…

Oui, pour moi, ce n'est qu'un sentiment éprouvé. Ghetto. Un mot qui sonne juste. Comme si l'Humanité était immuable, que tout continuait comme par le passé. Je sais que ce n'est pas vrai. Que les choses sont différentes, qu'elles sont particulières à une époque donnée.
Il n'empêche,le malheur au malheur ressemble, dixit Aragon.
Et souvent j'ai le sentiment que nous n'en sommes qu'à la pré-histoire de l'Humanité.
Je ne sais pas ce qu'en disent aujourd'hui les sociologues de cette idée de Ghetto ? Pendant tout un temps ils écrivaient qu'ils n'y avait pas de Ghetto en France, parce que les mêmes lois de la République concernaient tout le territoire et toutes les personnes y vivant. Ils avaient raison. Les ZEP et les ZUP, si tant est qu'elles étaient d'exceptions, avaient vocation à disparaitre, elles n'étaient là que pour aider...
Aujourd'hui qu'en disent-ils, les sociologues ? Les choses ont-elles régressé ? Ce n'est pas exclu !
Je sais qu'on évoque la relégation.
L'Europe s'est ouverte, le Monde aussi, et tous ses joyeux rastaquouères y circulent "librement". C'est un jovial bordel avec rires et tristitudes ! A proposito, je me demande ce que sont devenus les Roms expulsés du squat de la place de la Fraternité, à Montreuil ? Parce que, Eux, le Ghetto, ils n'en avaient rien à branler !
J'ai parfois la nostalgie du Château des Carpathes de Jules Vernes... Mais ça se soigne !
Et je me souviens, un "petit pâté de Pézenas" à la main, en pénétrant dans la vieille ville par l'imposante lourde grille ouverte : ICI COMMENCE LE GHETTO. Il est des inscriptions qui refroidissent les ardeurs !