J’ai vu le film de Margarèthe Von Trotta au sujet de
Hannah Arendt.
Bien entendu, ce film est axé sur la période des
écrits qui suivirent la mort par pendaison d’Eichmann à Jérusalem, après son « procès ».
Procès entre guillemets, parce qu’Eichmann a été illégalement enlevé du sol
argentin où avec la complicité de la Croix Rouge et du Vatican il avait trouvé
refuge après la guerre. Sont donc développés les concepts de la « Banalité
du mal », le constat de la médiocrité des criminels nazis. Il s’agit là
de personnes, dans un système totalitaire, qui par serment au führer et par
leur place dans un organigramme hiérarchisé, ne pensent pas, ne pensent plus. Eichmann
est le paradigme du bureaucrate criminel. Eichmann ne pense pas. « Un spécialiste,
portrait d'un criminel moderne », film documentaire
français d'Eyal Sivan et Rony Brauman (1998) montre bien lui aussi cette
problématique. Les extraits du procès filmé en noir et blanc sont fascinants. Eichmann
est pathétique. On a reproché à Hannah Arendt d’atténuer par ses propos la responsabilité d’Eichmann.
Décortiquer une réalité pour la penser et la
comprendre ne consiste pas pour autant à absoudre les criminels et à diminuer leur
responsabilité. Elle se réjouissait qu’il ait été pendu.
Arendt note que le propre de l’homme est bien de
penser et c’est ce qui le sépare des animaux. Le rire aussi ajouterai-je !
La pensée d’Hannah Arendt est tout à fait moderne et d’actualité : le
totalitarisme nivelle les hommes ; ils finissent tous par ne plus penser.
Il se produit une espèce de déréliction humaine qui touche tout le monde. Autant
les bourreaux que les victimes. A l’occasion du procès d’Eichmann à Jérusalem,
il est incidemment apparu que les Conseils juifs collaborèrent à la déportation
de juifs… Les victimes par leur comportement envoyèrent certains d’entre eux à
la mort. Les Conseils Juifs, s’ils structuraient la communauté juive, ont
contribué à faire plus de morts que si les personnes étaient restées moins
organisées, mais par la force des choses plus réactives, car dans l’obligation
de penser ce qu'elles risquaient et ce qui allait leur arriver. Et puis Hannah Arendt note qu’entre la
résignation totale et la collaboration, il restait pour les Conseils juifs un espace pour manœuvrer autrement… On lui a
beaucoup reproché ses remarques sur les « Judenrat ». On l’a encore
récemment reproché à Rony Brauman…
De nos jours, les conditions, souvent les conditions
de travail, qui mettent un individu dans l’incapacité de penser sa destinée, sa
journée, sa vie, procèdent d’un système
totalitaire. C’est moi qui le dis !
Hannah Arendt dit qu’elle ne peut aimer que des
individus, que des personnes mais qu’elle ne pense pas pouvoir aimer un peuple.
Y compris le Peuple Juif ! Elle parle de Crimes contre l’Humanité et non
de Crimes contre les Juifs ; parce qu’un juif est avant tout et d’abord un
Homme… Elle savait mettre de l’ambiance dans le Landerneau sioniste ! Elle
a une légitimité : elle a fuit ses ennemis nazis qui voulaient l’envoyer
en camp de concentration. Elle est venue se réfugier chez ses amis français :
ils l’ont mise dans un camp d’internement ! A Gurs, antichambre de la
déportation et de la mort. Elle s’en est évadée pour rejoindre l’Amérique.
Le film est beau dans le sens qu’il montre la pensée
en action. La pensée est physique, Hannah Arendt déambule, marche, elle est
vigoureuse, parfois épuisée, elle fume, elle embrasse, elle s’allonge, elle
enseigne, elle promet, elle parle, elle rit, elle pleure, elle croise les
jambes, elle caresse…
C’est un très beau film d’action… de la Pensée !
Il donne envie de lire ses œuvres…
2 commentaires:
"De nos jours, les conditions, souvent les conditions de travail, qui mettent un individu dans l’incapacité de penser sa destinée, sa journée, sa vie, procèdent d’un système totalitaire". C'est, en gros, ce que je pense de la dérive actuelle du système éducatif français, côté enseignants et surtout côté élèves.
Oui je vis ça aussi, mais dans une moindre mesure.
Educateur spécialisé, j'aurais aimé travailler avec des adolescents. Mais l'organisation de l'action sanitaire, scolaire et sociale pour les accompagner est tellement racornie comme une peau de chagrin qu'il devient, même pour un professionnel, impossible d'organiser le présent et de penser l'avenir.
Désormais, je bosse avec des enfants handicapés, -et j'aime ça, parce qu' il existe encore une marge pour réfléchir, parce que c'est un domaine qui n'est pas encore totalement déstructuré, ni livré aux entreprises privées à but lucratif !
Mais je pense surtout au pire, en écrivant sur l'impossibilité de penser sa vie, son travail, sa journée même, je pense aux salariés victimes d'injonctions paradoxales, à qui on ne laisse aucune marge de manoeuvre et qu'on tient finalement pour personnellement responsable de ce qui de toute façon ne visait qu'à les mettre en échec pour mieux les licencier et recommencer la même chose avec d'autres.
Sans parler de la paie de Mickey qui tient lieu de salaire...
C'est terrible cette terreur actuelle qui s'exerce à cause du chômage de masse organisé et d'un rapport de force défavorable aux travailleurs...
Sans vouloir verser dans un marxisme de bon aloi !
Enregistrer un commentaire